jeudi 25 avril 2013

Sacrifice du buffle dans un village Katu

J'ai de la chance.

Quelques jours après être arrivée au Laos, je pars explorer les régions de l'est, un petit trek en terrain
"mon village" pour quelques temps
bien escarpé, caillouteux et glissant...et c'est la chute. Mon genou vrille vers l'extérieur, douleur aiguë, mais il faut continuer, redescendre vers le village, encore deux heures de marche, alors bien sur, ça n'arrange pas les choses.
Durant la nuit, la douleur est atroce, la personne qui m'héberge chauffe des feuilles de bananier et en entoure mon genou. J'ai plutôt besoin de froid, de glace, mais il n'y en a pas dans le village, alors je laisse faire. Le lendemain, mon genou a doublé de volume, impossible de marcher, pas de médecin à moins de 2 heures de route, les villageois font venir le chamane. Je suis assise par terre (avec les

Avec ma béquille, vêtue du Sin
traditionnel
membres de la famille) il me regarde, mon genou est couvert par un sin (sarong), secoue la tète, il souffle (de loin car il est resté debout) sur mon genou, s'adresse à la dame qui me loge et s'en va.
Pas de grands gestes, pas d'incantations, de fumée ou autre cérémonie obscure, je suis déçue ! ;-)
Bon, pas non plus d'atèle ou de soin quelconque, je suis déçue ! ;-)
Par contre, il faut payer... car il n'est pas parti, il attend son paiement à l'extérieur, pas de générosité gratuite, je suis déçue ! ;-)


Mais non, allez, c'est pas vrai, je ne suis pas déçue, je vais me reposer quelques jours ici avant de prendre une décision quand à la suite de mon parcours. En fait je suis même loin d'être déçue, je suis dans un village au bord d'une rivière, la vie est tranquille, les habitants me fabriquent une béquille en bois, rustique mais efficace, tout le monde est aux petits soins pour moi. C'est plutôt chouette, j'ai de la chance !


Les repas quotidiens
Je reste 15 jours dans ce village. 15 jours à partager la vie quotidienne des habitants.



Cuisson du riz collant, à la vapeur,
dans un panier en bambou.
J'observe la préparation des repas: tous les jours on cuit le riz collant, à l'extérieur, sur un petit feu. Parfois on grillera un poisson ou un morceau de poulet, mais les repas sont surtout composée de
riz et de légumes sautés. On mange assis par terre et on pioche dans le plat commun. La maison où je loge a une pièce avec du carrelage, quel luxe, c'est moins poussiéreux que les maisons au sol de terre battue.




la recette est simple, il suffit d'écraser
les feuilles avec la pierre...
...Puis de se frotter le visage avec.


Les femmes m'aident à me rendre à la rivière pour la toilette.
J'apprends à cueillir les feuilles d'un arbuste, pour les piler avec un cailloux, on les utilise comme recette de beauté pour le visage.







J'observe les pêcheurs et leur technique si particulière. Ils placent des espèces de nasses en bambou et, perchés sur leur radeau (de bambou aussi), ils frappent l'eau pour rabattre les poissons vers le piège.

toboggan naturel, c'est quand même
 mieux qu'aqualand non ?


Les enfants eux, passent leur temps à faire des glissades dans la boue.





Le matin, j'observe le défilé des femmes des villages du plateau environnant. Ce sont des Katu, alors que le village ou je suis est un village Lao. Elles viennent vendre des légumes et des fruits qu'elles portent dans des hôtes de bambou. Elles s'arrêtent devant les maisons, déposent leur chargement, et les habitants viennent fouiller et acheter ce qui leur plaît. C'est comme un mini marché devant chez vous ! Les traditions vestimentaires se perdent, elles sont, pour la plupart habillées comme les Lao, mais on repère tout de suite leurs "cigarettes"...immanquable !

Ce sont les villages Katu que je voulais aller voir lors de mon trek écourté à cause de me chute. Mais j'ai de la chance !

les femmes fument des énormes cônes
 de tabac brut
Car en plus de l'opportunite de partager la vie du village pendant ma "convalescence", les Katu  qui rigolent bien, chaque jour, de me voir avancer avec ma jambe de bois m'invitent à la fête de leur
village qui aura lieu dans quelques jours.



déballage de la récolte devant les maisons


















Les Katu sont animistes, c'est à dire qu'ils croient aux esprits.
 Leurs villages sont d'ailleurs construits autour de la maison des esprits, qui sert uniquement lors des cérémonies rituelles. La maison des esprits se trouve toujours a milieu d'une grande place vide,
les décors peints des maisons des esprits
entourées de piquets en bois.

""totem" Katu dans les maisons
des esprits














La construction traditionnelle est en bois et toit en herbe, mais, maintenant, de plus en plus souvent, celui ci est remplacé par un toit de tôle ondulée. Les décors peints sur les cotés ainsi que les "totems" varient d'un village à l'autre. Le phallus est cependant un point commun, puissance, fertilité, chasse, longévité ? je n'en connais malheureusement pas la signification exacte.




Bref, je suis invitée à une fête ce soir, je trouve donc un villageois qui veut bien m'y conduire dans son vieux camion. Je découvrirai, arrivée sur place qu'en fait de nombreux villageois sont venus car




Les paris d'argent, surtout pour les enfants
Le gamin a gagné les cigarettes
le lao-lao coule à flot, et, ici, toutes les occasions sont bonnes pour boire l'alcool de riz. Arrivée au village, Je découvre une ambiance kermesse avec des jeux  principalement pratiqués par les enfants.
Il y a les jeux d'argent: un tapis posé au sol où on place ses paris...un peu comme à la roulette, mais sans roulette, on gagne de l'argent, personne ne s'offusque de l'âge des joueurs....
Il y a le jeu du paquet de cigarette que l'on doit faire tomber dans la jarre, on gagne le paquet de cigarettes, personne ne s'offusque de l'âge du joueur...




Le système d'éclairage public de la fête, rudimentaire mais efficace.
Non, non, il ne neige pas, les particules que vous voyez sur la photo
c'est de la poussière !
Que fait cet homme assis sur sa moto...il tient la chandelle ?
Non, il tient l'éclairage: une ampoule suspendue à une perche, genre canne à pèche lumineuse !

L'ambiance est assurée par une sono à fond, enfin... surtout les grésillements à fond !
Il y a foule, et on a du mal à respirer tellement l'atmosphère est saturée de poussière. Et oui, les villages ont tous des rues en terre uniquement, alors avec la foule qui piétine, c'est vite irrespirable !

Avec ma béquille, je suis un peu une attraction, moi aussi. Ici, les gens se moquent ouvertement des infirmes ou des
handicapés, je ne fais pas exception.  J'ai du mal à avancer, dans le noir, sur un sol très irrégulier, avec toujours un petit groupe de curieux qui m'entourent, mais j'arrive finalement au milieu du village, devant la maison des esprits. Et là, je comprends le pourquoi des piquets en bois qui l'entourent.





Les décorations en bambou, suspendues
 devant chaque animal


Chaque piquet est décoré de sortes de guirlandes en bambou, et, à chaque piquet est attachée un boeuf, le piquet du milieu, lui, est pour le buffle. Les animaux seront sacrifiés.
 La cérémonie va commencer, les hommes se préparent et se parent.



Bien sur, le 21eme siècle est là, et les tenues traditionnelles sont plutôt en voie de modernisation. C'est donc par dessus des shorts de foot et T-shirts fluos que les hommes revêtent leur ceinture brodée et s'emparent de leurs armes: une épée et un bouclier rond.
La cérémonie commence avec des chants, le sacrifice d'un oiseau et des danses dans la maison des esprits au son des tambours. Les danses continueront ensuite à l'extérieur, les hommes dansant autour de chaque animal. Toutes les 5 minutes environ, ils s'arrêtent, on leur sert à boire: du lao-lao, et hop, c'est reparti.Un tour de la maison des esprits, un tour d'un animal, un verre de lao-lao, un tour de la maison des esprits....
Puis, tout d'un coup, tout s'arrête. Les hommes s'éparpillent, la foule repart vers les stands de la fête. c'est fini...

Aurai-je mal compris? il n'y a pas de sacrifice ?...

Au petit matin, les hommes boivent et
fument...
Je rentre au village bien dépitée, non pas que je souhaitais absolument voir des animaux mourir sous mes yeux, mais j'ai l'impression de n'avoir rien compris à la cérémonie.
Le lendemain matin, on me secoue, il fait encore nuit, il est 5 heures du mat...c'est mon chauffeur de la veille qui à grand renfort de gestes me fait signe de l'accompagner.

les villageois s'assemblent devant
les maisons....
On retourne au village !
Le soleil se lève à peine, le village est presque désert, mais de petits groupes d'hommes palabrent en buvant du lao-lao, parmi eux, les hommes d'hier soir, toujours dans leurs tenues
de cérémonie, ils sont ivres.
Peu à peu, quelques habitants s'avancent vers la maison des esprits, la cérémonie recommence. Identique à celle d'hier soir: chants, danses autour des bêtes toujours attachées à leurs piquets décorés, un verre de lao-lao, danses, lao-lao, danses...certains titubent, fatigue et lao-lao...la danse est un peu désorganisée, mais continue malgré tout.

ravitaillement en Lao-lao...


...avant de reprendre les danses























Puis,tout à coup, les danseurs s'arrêtent,  l'un d'eux lève son épée et transperce un boeuf, l'animal s'écroule.



Ça va très vite, il passe au suivant et recommence l'opération. Les 12 animaux seront sacrifiés en quelques minutes, d'un coup d'épée dans les poumons. Malgré l'ébriété des hommes, le geste est précis, la blessure à peine visible dans le flanc de l'animal.


Le veau n'échappera pas au coup d'épée
 
 Les villageois se précipitent vers les bêtes et versent de l'eau dans la blessure pour les achever, les noyer, en fait, car si les bêtes s'écroulent instantanément, elles ne sont pas mortes.  En même temps, le dépeçage de la première bête commence, c'est un boeuf, les testicules sont découpés en premier et accrochés comme un trophée sur le piquet.





la dépeçage commence toujours
par les testicules
C'est comme un ballet, sur cette grande place autour de la maison des esprits, alors que certaines bêtes sont déjà à terre, le sacrifice continue pour les autres: un coup d'épée, l'eau dans la blessure, le découpage qui commence...

Et le buffle, qui s'agite, a-t-il senti que son heure est proche ?



Le buffle lutte contre la mort









Il sera le dernier a être sacrifié, de la même manière, mais, alors que les autres bêtes se sont écroulées presque tranquillement, il lutte contre la mort, il rue, il se cabre, et dans un nuage de poussière, tente désespérément d'échapper à sont sort avant de tomber.


L'agonie du buffle sacré
Pas d'eau dans les poumons pour le buffle, c'est l'animal sacré, son sacrifice protégera le village des maladies et autres catastrophes.

les plumets de bambous
trempés dans le sang
Il mourra dans la douleur, lentement. Les hommes trempent des plumets de bambou dans le sang qui s'échappe de ses naseaux, les passent aux enfants à l'affût qui s'en emparent et courent les porter à la maison.
Ces bâtonnets de bambou seront accrochés à la porte de chaque maisons pour garantir la chance et
écarter le malheur.


Ce morceau d'oreille est
lancé en mon honneur
Ensuite, les hommes s'approchent et coupent des morceau d'oreille, la bête gémis, elle est toujours vivante!
Les morceaux d'oreille sont lancés dans un petit panier en bambou à environ 6 m en hauteur. Pour la protection du village, pour éloigner les mauvais esprits. Un morceau sera spécialement lance pour moi, pour ma guérison.
Merci.

Son calvaire est terminé










Le buffle étant sacré, sa viande n'est consommée que lors des sacrifices, il sera découpé et partagé entre chaque famille du village. Un morceau sera accroché devant chaque maison pour la protection, le reste sera mangée.

J'ai de la chance. J'ai pu vivre un rare moments d'émotion, je quitte le village en gardant comme dernière image, la majesté du buffle, enfin mort.




9 commentaires:

  1. Tu m'as fait rêver, cette fois plus que d'habitude ! Merci pour tes contes et tes photos et surtout bon courage pour ton genou :) Bisous bisous !

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    1. Je suis toujours contente de faire rêver.
      comment vas-tu Sarah? je t'ai envoyé plusieurs e-mails restés, mais peut être as-tu changé d'adresse ...
      Bisous
      Marie

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  2. Tu parles d'un rêve !! de la cruauté oui !! Comment peut-on s'extasier en tant que touriste d'un pareil spectacle ?

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    1. Bonjour Liliane,
      Je ne m'extasie pas, je relate, je témoigne, je raconte.
      D'autre part, en réponse au commentaire suivant: ces gens ne sont pas Bouddhistes, j'ai bien précisé qu'ils sont animistes. ILs croient aux esprits, ils ont besoin d'apaiser ces esprits pour que la communauté reste prospere, ce sont des traditions ancestrales. Il n'y a aucune cruauté dans cette cérémonie.

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    2. Bonsoir ou bonjour Marie :-)
      Le Laos est une terre du Bouddhisme Theravada, comme quasi toute la péninsule indochinoise à part la Malaisie ; des milliers de pagodes, plus de 20 000 moines et nonnes...Les Katu, comme d'autres minorités, ont en effet des traditions que l'occidental appelle __à tort__animisme, sinon cruelles au sens étymologique, du moins impliquant d'infliger de grandes souffrances.
      Merci pour la réponse, et bon appétit :-)

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  3. Bon ! Tombée par hasard sur ce blog, cette errance voyageuse est très intéressante. Bravo !
    (je reste dégoûtée devant la cruauté quelle qu'elle soit, surtout sur une terre bouddhique...bref, la pauvreté et la dureté de l'existence n'excuse rien de tout ce qui engendre de la souffrance...)
    Petit appoint suite au billet sur les humanitaires ; ne pas mettre tout le monde dans le même sac, il y a au Cambodge de grandes organisations, Handicap International entre autre que je connais particulièrement bien sur place à PHP qui ont fait et font toujours un travail remarquable avec des expatriés dévoués et des agents locaux respectés et rémunérés correctement. S'il y a tant d'abus c'est avant tout parce que ce pays est dirigé par un premier ministre dictateur, sachons le. Le roi n'a aucun pouvoir. L'aide humanitaire permet de se décharger à bon compte des obligations des dirigeants tous corrompus.
    Bon voyage pour la suite !

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    1. Il ne me semble pas avoir mis tout le monde dans le même sac, comme tu dis.
      Je n'ai relaté que quelques expériences personnelles, et je l'ai bien stipulé.

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  4. J'oubliais : bien les photos ! regard généreux, tout en simplicité où l'humain a toute sa place.
    Comment va le genou ? :-) en souhaitant que ce ne soit pas une entorse ... à soigner scrupuleusement.

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  5. Bonjour,
    Je suis entrain d'écrire un article sur les boucliers Katu. Avez-vous des renseignements sur leur fabrication et ce que représentent les motifs peints sur ces boucliers. Merci de votre réponse. très beau reportage. M'autorisez-vous a utiliser les photos où l'on voit les boucliers?

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