vendredi 22 mars 2013

Le " far-est" cambodgien avant destruction totale?

Rouge

Couleur Cambodge
C'est la couleur du Cambodge. Non, pas à cause du communisme, mais pour la couleur de la terre. 
Cette terre couleur brique, qui en cette saison sèche recouvre tout et donne des paysages d'automne est présente partout dans le pays.
non, non, c'est pas l'automne,
Les feuilles sont bien vertes
....sous la poussière
Mon sac est chargé, je vais pouvoir
 m'installer dessus
En partant vers le nord-est, les routes sont de moins en moins goudronnées et les moyens de transport sont rares. Alors, après avoir voyagé assise sur mon sac à dos, agrippée aux cordes pour ne pas tomber de la plate forme à l'arrière du mini van bondé (j'ai compté 25 personnes à l'intérieur - pour 12 places- plus 3 dans le coffre et 3 avec moi sur la plate forme), je n'ai pas eu besoin d'auto-bronzant....je suis rouge de la tête aux pieds !

police administrative
Première étape dans l'est: Sen Monorom, la capitale du Mondolkiri. Le ton est donné par le bâtiment de la police administrative de la province....Une des provinces les plus reculées du pays, sa capitale est une toute petite ville perdue au milieu des hauts plateaux couverts de jungle.
Couverts de jungle?
Plus pour longtemps.

les "routes" qui défigurent la région
désolation des forets rasées
En explorant la région (à vélo = de plus en plus de poussière), c'est un spectacle de désolation que je découvre peu à peu. Des collines entières sont devenues des monts pelés, les arbres ont disparus. La région est pillée. Le gouvernement brade les concessions à tour de bras à des sociétés étrangères qui coupent les arbres sans discernement et sans reforestation. Autant dire  que, sans re-plantation, dans quelques années, il ne restera plus rien de ces forets.
De grandes routes de terre ont été ouvertes pour laisser passer les camions qui achemineront le bois directement vers le Vietnam ou la Chine.
Les quelques villages traditionnels qui restent sont peu à peu désertés. Les habitants de ces villages se nourrissent des plantes de la foret et des animaux qu'ils chassent.

Plus de foret, plus de moyen de subsistance. Les hommes sont partis tenter leur chance un peu plus au nord dans les mines d'or, mais là aussi, ces terres ont été concédées à des sociétés étrangères et les mines artisanales sont en voie de disparition. C'est un jeune Khmer qui m'explique cela, car je n'ai pas pu visiter ces mines, la région étant en plein travaux dus justement aux installations de nouvelles infrastructures minières, l'accès était impossible.

Les montagnards ( la petite bouteille d'eau contient, en fait,
de l'alcool de riz)
J'ai donc surtout vu des femmes et des enfants dans ces villages. Une seule fois j'y ai rencontré des hommes. 10 heures du matin, ils sont attablés devant une tasse d'alcool de riz, et, vraisemblablement, ce n'est pas la première...Ils m'invitent à leur table et essaient de m'expliquer plein de choses.... Je regrette vraiment de ne pas avoir d'interprète mais quand je leur dit que je suis baraing (française),ils me font comprendre qu'il sont: Montagnard. En français. Ils sont bien trop jeunes pour avoir appris le français lors de la colonisation, et c'est le seul mot qu'ils connaissent. Ils me miment la marche, la chasse ( ou la guerre, je ne sais pas trop) et se tapent la poitrine en répétant: Montagnard, montagnard, ils ont l'air très fiers de cette appellation.
Je suis bien déçue de ne pas pouvoir communiquer plus avec ces hommes, et je suis bien triste de les voir ainsi désoeuvrés.Je ne peux pas m'empêcher de penser aux aborigènes d'Australie qui, parce qu'on a détruit leur habitat et mode de vie traditionnels sont, pour beaucoup, des alcooliques qui hantent les banlieues des grandes villes, incapables de s'adapter à la vie moderne et incapables de retrouver leurs traditions, un peu comme des fantômes entre deux mondes. Ces hommes finiront-ils comme eux ?


Changement de paysage
au bord du Mekong
Je quitte le Mondolkiri pour le Ratanakiri, plus au nord. Sur les cartes, il y a une route, mais en fait cette route non entretenue depuis des années n'est plus qu'une simple piste à peine praticable par les chars à boeufs. C'est donc après un grand détour par les bords du Mekong que j'arrive à destination.

cool à la boucherie...pied de nez au cochon !







Ban Lung, capitale de cette province, contrairement à Sen Monorom, est une petite ville plus moderne: il y a plusieurs rues goudronnées et un marché plus animé....enfin, animé entre deux siestes ;-)

Je vois d'ici les questions que certains se posent: mais pourquoi va-t-elle se perdre dans des endroits pareils?...

Lorsque j'étais au Vietnam, dans les hauts plateaux, je n'ai pas pu, pour des raisons de logistique, aller visiter les quelques villages Jarai de la région, mais je m'étais promis d'aller visiter ceux de l'autre cote de la frontière, pour découvrir leurs cimetières si particuliers.


besoin de motodop?
 y'a qu'a choisir
Ici, comme dans de nombreuses autres villes du Cambodge, à la saison sèche, il n'y a pas beaucoup de travail. Pour beaucoup, l'activité se résume donc à faire le taxi...moto taxi, ou motodop comme on les appelle ici. Les hommes attendent donc, perchés sur leurs engins, un éventuel client.

J'ai du choix...encore faut-il trouver un chauffeur qui parle un peu d'anglais pour arriver à lui faire comprendre où je veux aller. Pas si simple. Il y a quelques touristes dans la région, mais ils vont généralement visiter les chutes d'eau ou le lac volcanique qui se trouve à proximité de la ville. Il me faut donc trouver quelqu'un qui connaît les différentes minorités de la région, c'est pas gagné...

Je trouve finalement un jeune qui veut bien m'emmener dans un village Jarai pour un prix raisonnable. 

Camion rempli de jeunes hévéas
à replanter
les cabanes des ouvriers des plantations
d'hévéas



Et c'est parti pour un nouveau périple sur les chemins rouges.
Là aussi, le triste spectacle qui s'offre à moi, c'est la déforestation. Des hectares et des hectares ont été transformés en plantations d'hévéas ou d'arbres à cajou. Les populations chassées des forets  travaillent dans les plantations pour un salaire de misère. Ils vivent maintenant dans des masures le long des routes, pas de village, pas de commerces, juste un alignement de cabanes couvertes de poussière rouge.
Une glacière...chic, on va boire frais !
Tout à coup, au bord de la route, un village légèrement plus prospère: il y a un commerce et même de la glace livrée depuis Ban Lung...si, si, regardez bien sur la photo de droite.On voit la glacière orange, c'est dans tout le pays, le signe que vous pouvez trouver des boissons fraîches et même parfois, de la glace à vendre. À part dans les grandes villes, il n'y a pas de réfrigérateurs ici, contrairement au Vietnam ou c'est un objet courant.
Bref, un village avec glacière c'est déjà un village riche.


un puits de mine











fouiller la terre à mains nues
Ici c'est le centre de tri, de pesée et de commerce du zircon sorti des "mines" des alentours, le village des "chefs" qui achètent les pierres aux mineurs. On ne s'arrête pas dans ce lieu car mon chauffeur m'explique que ce n'est pas un endroit sur, les visiteurs ne sont pas les bienvenus. Par contre, il me dépose aux "mines".




Le mineur, au fond
De simples trous à peine assez large pour qu'un homme y descende, desquels on remonte des seaux de terre qui sera fouillée à la main, sans tamis, pour trouver les précieux cailloux. Il fait une chaleur accablante à l'extérieur, je n'ose imaginer l'enfer au fond des trous, les hommes se relaient, une heure au fond, une heure en haut pour remonter les seaux.

Zircon bleu
S'ils ont de la chance, ils trouveront des pierres qui deviendront bleues une fois chauffées, ce sont les plus précieuses, celles qui rapporte de quoi vivre mieux.

Les autres pierres, celles qui deviendront jaunes ou resteront brunes ne seront pas payées....Bien que je soupçonne les "chefs" de les revendre quand même, pour leur seul bénéfice. Sur la photo de droite, les pierres brutes dans le petit godet, et les pierres bleues(chauffées et taillées).

femmes et enfants Kreung
On reprend la route, pour s'arrêter dans un village ou je suis accueillie par des femmes et une nuée d'enfants....Sauf que ce n'est pas un village Jarai, ce sont des Kreung.
la maison commune
D'autre part, c'est jour de mariage, ou plutôt lendemain de mariage, où sont les hommes ? ils cuvent l'alcool de riz qui a été consommé en (très) grande quantité depuis 3 jours. Ils dorment dans la grande maison commune.
Bon...c'est donc là que je m'aperçois que le jeune homme qui m'a amenée ici ne fait pas de différence entre les minorités, pour lui, ils ne sont pas Khmers et c'est tout !
Il ne peut pas m'amener voir les Jarai car, contrairement à ce qu'il m'avait dit, il ne sait pas où ils sont :-(
Heureusement, quelques hommes du villages sortent de leur torpeur, sans doute intrigués par la visite d'une étrangère, et après de longues et difficiles explications, l'un d'eux propose m'emmener voir un cimetière Jarai, pas très loin dans la jungle, me dit-il, en échange de mes cigarettes. Ok, je change de monture et on repart, pour s'arrêter 500m plus loin....
Je commence à me demander si j'y arriverai un jour...mais je suis agréablement surprise d'être accueillie ici par Reaxa, un Kreung qui parle anglais. C'est finalement lui qui m'emmène au cimetière et qui m'explique les rites de ses voisins Jarai.
les effets personnels du défunt







Ils construisent une petite maison de bois dans laquelle le mort est enterre.dans la cabane, on dépose tout ce qu'il possède: vêtements, vaisselle, paniers outils, et même ses cigarettes ou le bouteilles avec ce qu'il reste d'alcool de riz.

femme

L'ensemble est décoré avec des statues de bois à l'effigie du défunt, ainsi que, parfois, des dessins représentant les faits marquants de sa vie. On y dépose aussi les cranes des buffles sacrifiés à l'occasion des funérailles et, enfin, on met à sa disposition un hélicoptère pour que son esprit puisse voyager facilement.

La tombe sera ensuite abandonnée jusqu'au décès d'une autre personne de la famille, qui sera enterrée au même endroit.


les tombes communes sont abandonnées
 
Il règne une atmosphère étrange dans cet endroit perdu au milieu des arbres. Certaines tombes sont en bien mauvais état, Reaxa m'explique que c'est parce que les Jarai ne reviennent jamais visiter leurs cimetières, de peur de déranger les esprits. C'est aussi pourquoi il n'y a que quelques tombes regroupées (ici seulement 8), ensuite ils choisissent un autre emplacement dans la foret, pour d'autres morts du village.

Ces cimetières sont donc, eux  aussi destinées à disparaître, en même temps que la jungle qui les entoure.

Retour au village de Reaxa qui m'explique que son peuple (les Kreung), bien que n'étant pas bouddhistes, et, à la différence des Jarai, brûlent les morts.
Ils ont en commun de croire aux esprits, et ils font des sacrifices lorsqu'un membre du village est malade par exemple.

les maisons des célibataires
Il m'explique aussi les toutes petites maisons que je vois dans le village: ce sont les maisons des célibataires.
Lorsqu'une fille arrive à la puberté, on lui construit une petite maison proche de celle de la famille, où elle passera ses nuits et pourra y recevoir les garçons. Après en avoir essayé plusieurs (des garçons), elle choisira celui qu'elle aime vraiment pour l'épouser.
C'est une sorte d'éducation sexuelle grandeur nature!


J'espère que Reaxa, son village, les villages alentour et les ethnies voisines trouveront un moyen de survivre aux transformations profondes de la société et du paysage de cette merveilleuse région de Cambodge.





6 commentaires:

  1. Réponses
    1. merci.

      PS: une signature serait la bienvenue.
      Marie coco

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  2. bonjour Mariecoco... je te suis dans cette visite du Cambodge... nous (Ramon et Brigitte rencontre en Chine..) avons toujours "évité" ce pays.. trop de tourisme..vu de loin comme ça... et en te suivant dans ton trip.. j'ai bien envie de faire un détour prolongé par là.. on a été au Laos, pourtant bien défiguré depuis notre passage quelques 10 années avant.. mais il reste là-bas aussi de si beaux endroits et surtout de "grands" personnages !
    tu profites de la Vie et tu engranges un maximum de petits et grands bonheurs.. et si un jour tu nous reviens.. tout cela te donnera une force inouïe.... prends soin de toi quand même.. Brigitte Girerd

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    1. Bonjour Brigitte,
      Le Cambodge, c'est quelques coins tres touristiques, et tout le reste du pays encore tres authentique.
      Beaucoup plus agreable que le Vietnam en tout cas !

      Marie coco

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  3. Bonjour Marie Coco ,
    Toujours aussi passionnant ton périple !
    Mon dieu que de richesse et de sagesse et une grandeur d'âme que tu va ramener de ta fabuleuse histoire ! Crois moi ta vie n'est déjà plus la même et ne sera jamais plus comme avant .
    A très bientôt dans un nouveau paysage ..
    Prend bien soin de toi aventurière . Namsté
    Bisous .
    Sylvie

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    1. Merci Sylvie,
      C'est bien agreable de savoir qu'on a des lecteurs/trices fideles apres des mois passes sur la route.
      bisous
      Marie coco

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