mardi 2 juillet 2013

Camp de réfugiés, Thailande

Dernier village avec routes et maisons en dur, après,
c'est la piste. reste encore une bonne trentaine de Km
J'ai rencontré Justin au Laos. C'est un américain qui enseigne l'anglais aux jeunes des camps de réfugiés Birmans, en Thailande.

Nous avions beaucoup discuté de la situation de ces réfugiés, et il m'avait invitée à venir sur place afin de mieux comprendre.

À peine arrivée en Thailande, je me dirige donc au nord-ouest, pas loin de la frontière avec le Myanmar ( Birmanie).


Je le retrouve donc, après un voyage assez mouvementé, en grande partie en stop car l'endroit n'est pas desservi par les transports. Et pour cause: ce ne sont que quelques maisons au milieu de la jungle, dans une région montagneuse.

Ma première surprise sera de découvrir la petite église pimpante au milieu des maisons et huttes de bambou. Ce hameau a en effet été construit par des missionnaires pour venir en aide aux réfugiés Karennis puisque c'est d'eux qu'il s'agit. Les Karennis ont été convertis au Christianisme par les portugais...Ils ont donc nombreux à être plus ou moins Chrétiens, même si ils continuent à croire aux esprits de la foret et à penser que les défunts restent autour des vivants pour les guider et les protéger.
Le gouvernement Birman ayant depuis des années persécuté les Chrétiens autant que les Musulmans, ils ont été obligés de cacher leurs croyances dans leur pays et retrouvent là, la liberté de culte.


le hameau où je suis accueillie....20 maisons et la "rue"
 principale
 
Je serai hébergée par Char Reh, dans une grande maison en bambou où vivent environ 10 personnes. On dort tous ensemble dans la grande pièce commune construite sur pilotis. Les "murs" sont en bambou tressé, sous un immense toit très pentu, recouvert de feuillage. C'est ce qui maintient tout le monde au sec lorsque le ciel se déchaîne et déverse des tonnes d'eau. En quelques minutes, les "rues" du village se transforment alors en torrent et on se réfugie sous les maisons. C'est là que l'on vit, la pièce du haut ne sert qu'à dormir.


 Le camp lui n'est pas accessible aux étrangers, seuls quelques envoyés des Nations Unies peuvent y accéder.


On laisse les chaussures bien boueuses en
bas de l'escalier.
Il y a plus de 100 000 réfugiés Birmans dans les camps de Thailande. Beaucoup viennent des états frontaliers: Karen, Chan ou Karenni. Ce sont, pour la plupart, des paysans qui ont été chassés de leurs terres par les militaires qui construisent des camps d'entraînement, des routes, des barrages....ou exploitent le sous sol sans se soucier de ce que peuvent devenir les habitants.
Il y a aussi les exilés politiques, les dissidents et tous ceux qui ont, tout simplement fui la pauvreté et la dictature.

Certains vivent là depuis plus de 20 ans. Il y a beaucoup de jeunes, la plupart sont nés là, ils n'ont jamais connu leur pays d'origine, mais n'ont qu'une idée: retourner y vivre.
La plupart de ces gens parlent leur propre langue qui n'est pas le Birman. Ils ne parlent pas  Thai, n'ont aucun contact avec les Thailandais, ils n'ont pas le droit de sortir du camp. Sur les routes et chemins environnants, beaucoup de contrôles de police. Les réfugiés n'ont pas de papiers, ils n'ont donc pas le droit de circuler. Ils n'ont pas non plus le droit de cultiver la terre, ni d'exercer aucune activité économique.
Ils vivent des rations de l'aide internationale,,,depuis plus de 20 ans !
Ordinateur sous la maison en bambou
Justin et Char Reh au travail
Bon, comme toujours, il y a  des exceptions. Certains chefs de camps sont plus compréhensifs ( ou laxistes?) que d'autres et permettent quelques activités. Il y a aussi beaucoup de trafic, drogue, nourriture....les camps ne sont pas hermétiques (merci la corruption) et certains exiles Karennis à l'étranger envoient de l'argent qui alimente ce marché noir. C'est dangereux car il faut sortir des camps la nuit à travers la jungle, mais c'est une véritable aubaine, surtout pour les jeunes qui peuvent ainsi avoir un téléphone ou écouter de la musique.
 Certaines associations ont aussi réussi à installer des hameaux comme celui où je réside et ont obtenu la permission d'y envoyer certains jeunes à l'école.
toujours coquettes et souriantes malgré
leurs conditions de vie précaires
Ici, il y a aussi un groupe de Karenni qui résident à temps plein. Ils ont réussi à obtenir une autorisation de sortie permanente ( comment ? mystère...) et tentent d'organiser les communications avec leurs compatriotes restés sur place. Ils savent que les Thailandais veulent, à terme, fermer les camps et les renvoyer dans leur pays d'origine. L'assouplissement des relations internationales avec la Birmanie leur en offre la possibilité, et cela pourrait bien se produire d'un jour à l'autre.
Oui, mais ces gens ne sont pas Birmans. Certains ne parlent même pas Birman, ils veulent retrouver l'indépendance qu'ils avaient avant la prise de pouvoir par la junte militaire. De toute façon, n'ayant plus de terres, s'ils rentrent, ils seront réduits à aller grossir les bidonvilles. Si les Thailandais ferment les camps et les renvoie chez eux, ce sera, ay coup sur, une catastrophe pour ces minorités.

C'est chez eux que je réside. Justin qui est là pour enseigner l'anglais, donne aussi des cours d'informatique. L'ordinateur a été offert par un Karenni exilé en Australie, il n'y a de l'électricité que quelques heures par jour, mais chaque minute est mise à profit pour se perfectionner.
Pour ma part, j'apporte ma contribution en faisant des traductions et en organisant des "cours" de conversation en anglais, pour les filles. Elles sont très timides, et, en dehors des cours, n'adressent pas la parole à Justin, c'est la tradition pour les filles de rester en retrait. Char Reh me demande donc d'organiser ces cessions de conversation pour qu'elles puissent pratiquer leur anglais.


maquillage traditionnel et balladeur pour
 la musique
 
Elles sont super ces filles ! Elles marchent à petits pas et restent en retrait de la communauté masculine, mais elles écoutent du rap et rêvent de partir à l'étranger pour pouvoir travailler et vivre dans des grands immeubles dans une grande ville riche.
Je suis bombardée de questions sur la mode....les filles changent de style tous les ans ? la musique, le cinéma...et c'est vrai qu'il y en a dans toutes les villes? et on peut y aller seule ? t'as déjà mange un MacDo?
T'as déjà vu la mer ? C'est vrai que tout le monde va à l'Université?

Leur plus grande peur, c'est de devenir esclave. En effet, certaines riches familles Thailandaises viennent visiter les camps pour faire leur marché, corruption encore: les chefs de camps ferment les yeux.... Ils "embauchent" des très jeunes filles qui deviendront leur bonne à tout faire...autant dire leurs esclaves, corvéables à merci. D'autres auront encore moins de chance et seront directement mises sur les trottoirs de Bangkok.
Comme elles n'ont pas de papiers et pas d'éducation, elles sont condamnées à subir leur sort à vie.

Ce sont ces filles qui m'emmènent visiter les femmes girafes.
Visitez les minorités de Thailande. trek découverte des femmes girafes. Excursion éléphants et femmes girafes, nouveau village karen, exclusif, safari photo des minorités....
C'est ce que vous pouvez trouver sur les brochures touristiques si vous voulez visiter le nord de la thailande. Quelle horreur ! ces gens sont traités comme des animaux de zoo !
J'avais, bien sur, décidé de ne pas y aller.

Mais il y a un village de cette ethnie à quelques Km d'ici et les filles y ont des copines.
Alors, voila la situation: Les femmes girafes plaisent aux touristes. Les Thailandais l'ont bien compris et ont fait sortir ces réfugiés des camps pour les installer dans des villages destinés à être visités par les touristes. les conditions de vies sont meilleures que dans les camps car il y a plus d'espace (dans les camps, les huttes sont collées les unes aux autres), mais personne n'a le droit de sortir du village, la situation est donc peu différente ici aussi les réfugiés sont comme en prison...elle est juste un peu plus confortable.
Il y a un droit d'entrée à payer pour visiter les villages, et un panonceau annonçant que la totalité de l'argent va aux habitants du village. Comme ces villages sont près de la frontière Birmane, dans une zone difficile d'aces, les tour-opérateurs proposent des packages de transport et visite, tout compris, à des tarifs élevés, ils gagnent des fortunes là dessus.

Le tissage qui leur permet de gagner un peu d'argent
La réalité: ok, l'argent va aux villageois, mais ils doivent en reverser plus de 80%. Une partie aux propriétaires du terrain, une partie aux tour-opérateurs, une partie de pots de vins aux autorités des camps....

Situation intolérable ?
Oui et non.
Oui, car l'exploitation d'un groupe humain est inadmissible, oui parce que, une fois de plus, certains s'enrichissent au dépend des autres, oui parce que la dignité humaine est écrasée...


Filles girafes....sans collier
Non, parce que les femmes girafes tissent des étoffes qu'elles vendent aux touristes. Cela leur procure un revenu qu'elles ne pourraient obtenir en restant dans les camps. Cet argent sert à toute la communauté, pour payer des médicaments, acheter des cahiers pour les enfants et de la viande de temps en temps.
Les filles qui m'accompagnent me servent d'interprète. Leurs copines ont choisi de ne pas porter le collier aujourd'hui, elles sont libre de leurs choix
En fait, les plus jeunes ne mettent le collier que lorsqu'un car de touristes arrive,  pour se faire prendre en photo, ça ne les dérange pas, ça permet de gagner plus d'argent.
Explications:

un village presque comme les autres, les enfants jouent...
ils n'ont pas encore conscience d'être des réfugiés.
Si elles enlèvent leur collier, leur cou se brise....ce n'est qu'une légende. Elles peuvent enlever leur collier si elles veulent, leur cou n'est pas déformé ni affaibli, en fait après plusieurs années de port du collier c'est leur clavicule qui s'affaisse, ce qui donne l'impression que le cou s'est allongé.

Les plus âgées ont porté le collier toute leur vie et l'enlèvent rarement car c'est devenu une habitude, et sans lui elles se sentent dénudées mais les jeunes, elles, ne le mettent que pour le folklore....pour le moment. Car, quand elles seront mariées, elles pensent le porter régulièrement. Pourquoi?...parce que c'est la tradition et qu'elles seront plus respectables si elles le porte, mais ça reste un choix personnel, pas une obligation.


Entre respect des traditions et rêve d'une autre vie, ces jeunes filles savourent leur chance de ne pas être enfermées dans le camp. Elles sont heureuses de vivre dans le village, qui s'il reste une attraction touristique, leur permet d'avoir des contacts avec l'extérieur.

Photo souvenir incontournable au moment du départ
Alors, les villages Karen, piège à touristes? oui
Exploitation des minorités? oui, mais qui apporte une source de revenus (même si les intermédiaires et agents touristiques empochent la plus grande part) et une ouverture sur le monde....

J'ai passe une dizaine de jours dans le hameau des Karennis, mais Char Reh me fait comprendre qu'il est temps que je parte. Des gens du pays doivent arriver (sous entendu: des clandestins qui doivent passer la frontière), il n'y aura plus de place pour moi.

J'ai appris beaucoup et espère avoir donné suffisamment en retour.




















 

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Passionnante lecture aujourd'hui sur le blog après quelques semaines sans jeter un oeil.
    Côté pile et côté face, le sourire et la souffrance, mais toujours beaucoup de générosité en réciprocité, la simplicité du coeur.
    Merci !

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  2. Une fois de plus un article intelligent et passionnant...
    Merci :)

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